A)- Les limites linguistiques.
Les spécialistes distinguent deux grandes périodes dans l’histoire du français: l’ancien français et le français moderne. Il s’agit de deux idiomes distincts et autonomes qui présentent des traits phonetiques, grammaticaux et dans large mesure lexicaux différents. Non seulement l’ancien français possède des formes qui n’existent plus dans la langue actuelle (un cas sujet par exemple), mais là même où les formes ont survecu elles ont souvent des valeurs et des fonctions différentes dans les deux langues: le démonstratif ou l’article ou le passé simple, etc., s’insèrent en ancien français dans un système grammatical qu’ignore le français actuel; là, par exemple où nous opposons UN MUR- DES MURS l’ancien français dit UN MUR – MURS et il en résulte que DES a dans l’ancienne langue un champ de signification qui n’est pas celui de notre actuel article indéfini.
Vus de loin l’ancien français et français moderne sont deux langues aussi éloignées l’une de l’autre que l’italien et le français actuels.
Ces langues ne sont pas le produit d’une évolution continue du latin classique, comme on le dit généralement; entre les deux il y a eu une sorte de rupture, ce qu’on pourrait appeler une “mutation”, à la faveur de laquelle le système latin s’est transformé. On peut dire que le français, l’italien, l’espagnol sont les “enfants” du latin.
Or tel est bien le cas du français moderne qui – pour reprendre la métaphore – est un “fils” de l’ancien français et non un “âge” de la vie d’un français né aux environs du IX-e siècle. Cet ancien français meurt en donnant naissance à un nouveau système linguistique, certes profondément marqué par son hérédité mais qui constitue bien un organisme autonome.
Ici se pose le problème de la date de cette mutation et de cette “naissance”. Il ne saurait recevoir de réponse précise, ce qui montre assez les limites de cette analogie. En effet, d’une part un système linguistique est un ensemble de structures qui ont entre elles une relative autonomie et qui évoluent par parties et par étapes: ainsi la disparition du cas sujet plus ancienne que la grammaticalisation du pronom personnel, etc.;
D’autre part, chacun de ces phénomènes s’étend sur une longue période, parfois sur des siècles; pendant une longue période la forme archaïque subsiste parallèlement à la forme nouvelle qui gagne lentement du terrain. Il est donc souvent difficile de préciser le moment où l’on peut considérer qu’une nouvelle marque s’est substituée à l’ancienne; et à plus forte raison de décider des limites d’une langue considérée dans son ensemble.
Ce n’est qu’au début du XVII-e siècle que la langue arrive à un point de maturité où elle sera normalisée et stabilisée par la génération classique des Malherbe et des Vaugelas. Jusqu’à cette date elle est encore dans une enfance et une adolescence, au cours de laquelle elle s’élabore et se construit.
C’est la langue de la période du milieu du XIV-e siècle jusqu’à la fin du XVII-e que l’on désigne généralement sous le nom de moyen français; période au cours de laquelle le nouveau système qui s’est constitué vers le milieu du XIV-e siècle, se structure et se débarrasse peu à peu des vestiges parasitaires qui l’encombrent.
Le moyen français n’est donc pas une étape intermédiaire entre l’ancien français et le français moderne, c’est la forme archaïque du français moderne, encore dans le système primitif.
Si donc on peut parler d’un moyen français, la limite linguistique s’en inscrit entre la première moitié du XIV-e siècle et le début du XVII-e.
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