Chapitre 4

 

La lumière devient plus vive. Au milieu de la bulle bleue apparaît une forme vague qui se précise de plus en plus. On voit maintenant un homme au regard vif habillé d'un manteau bleu foncé. Des cheveux abondants entourent un visage extrême­ment pâle. Il porte un grand chapeau pourpre orné d'une plume rouge. Son pantalon s'arrête juste au-dessus de ses bottes de cuir. Toute la grotte baigne maintenant dans une lumière étrange. Les enfants n'en croient pas leurs yeux. Ils réalisent à peine ce qu'ils voient. Ils n'ont même pas l'impression d'avoir vraiment peur. Tout cela, en effet, paraît tellement invraisemblable et merveil­leux.

— Voilà le moment que j'attends depuis des siè­cles. Vous allez m'aider, n'est-ce pas? demande la per­sonne mystérieuse. Les enfants ne répondent pas immédiatement et l'homme reprend:

— Il ne faut pas avoir peur de moi. J'ai besoin de votre aide. Dites-moi seulement que vous voulez m'aider.

— J'ai toujours pensé que le fantôme de Roscoff existe vraiment, dit Lénick tout à coup.

— Vous avez raison, mon enfant, le fantôme de Roscoff existe vraiment, et il a besoin de vous. Dites que vous voulez m'aider!

— On veut bien vous aider mais on ne sait pas très bien comment, répond Eric à son tour.

— Merci mon garçon.

—Il ne faut pas trop compter sur nous, reprend Eric. Pour le moment nous sommes enfermés dans cette grotte et nous . . .

Eric n'a pas l'occasion de terminer sa phrase. Le fantôme lui coupe la parole.

— Je vous demande seulement d'écouter mon histoire.

— Si ce n'est que cela, dit Lénick, on veut bien vous aider. En tout cas une belle histoire va nous aider à passer le temps.

— Ce n'est pas ce qu'on peut appeler une «belle» histoire. Une histoire, oui, mais «belle», non. Loin de là.

Le fantôme fait un pas en avant et s'assied sur une pierre en face des enfants. Il commence son récit.

— Je suis Yvan de Roscoff, corsaire du roi. Mon roi, Louis XIV, m'a fait confiance. Je l'ai trompé. Mais ce qui est plus grave: j'ai trahi mes camarades. Ils sont tous morts à cause de moi.

Yvan de Roscoff se tait un instant. Eric en profite pour lui poser une question.

— Un corsaire n'est donc pas un héros mais un vulgaire pirate?

Le fantôme lui répond.

— Un corsaire est un héros s'il reste fidèle à son maître et seigneur. En temps de guerre il est au service de son pays. Tout comme la marine royale il défend sa patrie. Il attaque seulement les bateaux de l'ennemi et laisse les autres en paix. Comme récompense il peut garder le butin qu'il fait ainsi. Il ne faut pas oublier qu'un bateau coûte cher, très cher et que le capitaine doit payer ses hommes régulièrement. C'est le corsaire lui-même qui porte tous ces frais. Le roi de son côté respecte le corsaire. Il le laisse faire sur la mer et aussi sur la terre. C'est ainsi qu'un corsaire peut trouver un refuge sûr dans les ports de son pays.

— Je ne comprends toujours pas, dit Lénick, pour­quoi vous êtes toujours, comment dire . . ., vivant?

— Vous ne pouvez pas comprendre aussi long­temps que vous n'avez pas écouté toute l'histoire. Je vous demande donc encore une fois de bien m'écouter. Yvan continue son récit.

— Pendant plus de dix ans j'ai bien servi mon roi et seigneur. Pendant la guerre j'ai détruit des bateaux espagnols, hollandais et anglais. J'ai bien payé mes hommes jusqu'au moment où le roi a signé un traité de paix avec nos ennemis en 1697. J'ai dit à mes hommes: «Le roi ne veut plus de nous. Il veut nous ruiner. Nous ne pouvons pas accepter cela. A partir de ce moment nous avons le droit d'attaquer tous les bateaux chargés des richesses de ce monde. Nous allons montrer aux autres que nous sommes les véritables maîtres de la terre.» C'est ainsi que je suis devenu pirate. Pendant des années encore j'ai entassé l'or et l'argent dans cette grotte. J'ai dit à mes hommes: «Encore quelques bateaux et après nous allons partager nos richesses. Je veux faire de vous tous de grands seigneurs». Ils m'ont cru et je les ai trompés. Imaginez-vous une belle soirée d'été. Nous avons déchargé les pierres précieuses, les riches étof­fes, les épices, l'or. Les hommes sont tous réunis sur le pont du bateau. J'ordonne de sortir le meilleur rhum et ils se mettent à boire, à boire sur leurs victoires, à boire sur la vie luxueuse qu'ils vont mener. Quand ils sont tous ivres-morte je descends un instant sous le pont. Il n'y a personne. Là se trouve la poudre. J'ai préparé une mèche. J'y mets le feu. Puis je remonte. Personne ne fait attention au capitaine qui se dirige vers sa cabine à l'arrière du ba­teau. Je me dépêche. J'ai peu de temps. J'ouvre une petite fenêtre et je me laisse glisser dans l'eau. La mer est calme et il n'est pas difficile de nager jusqu'à la côte. Là toutes les richesses amassées pendant des années m'attendent.

Toutes ces riches­ses pour moi seul. Je sens déjà sous mes pieds le sable de la plage. Je me retourne. Je regarde le bateau une dernière fois. Un instant plus tard il explose. Le bruit est terrible, le ciel devient tout rouge. Je triomphe. Tout s'est

passé comme prévu. Une grosse vague me soulève et me jette à l'entrée de cette grotte.J'ai froid. Je décide d'aller chercher d'autres vête­ments dans la grotte. Quand je ressors il y a tout à coup un homme à côté de moi. Ses vêtements sont déchirés. Il tient un couteau à la main. Il paraît fort, énorme. La folie se lit dans ses yeux. J'essaie de fuir. Il me suit à pas lents. Je m'enfonce dans la grotte. Ma meilleure épée se trouve là. j'en ai besoin pour me défendre. Mon ennemi réagit plus vite que moi et me plonge le couteau dans le dos. Je me sens mourir... Il y a maintenant des siècles que je me sens mourir. Ce­pendant le repos éternel m'est refusé aussi long­temps que je n'ai pas obtenu le pardon des hommes. Je suis condamné à attendre ici quelqu'un qui veut bien me pardonner au nom de toutes mes victimes. Maintenant que vous êtes là, vous devez avoir pitié de moi.

Yvan de Roscoff se tait. Il regarde les enfants.

— Je veux bien avoir pitié de vous, dit Lénick.

— Moi aussi, ajoute Eric.

— Dans ce cas, retirez le couteau de mon dos!

Le fantôme se retourne. Sur le manteau bleu il y a une tache brune avec au milieu un couteau plongé dans le dos d'Yvan de Roscoff.

Eric et Lénick sont très surpris.

— Enlevez ce couteau, reprend le corsaire. C'est le signe de la haine et de la

vengeance. Si vous l'enlevez, je sais que les hommes me pardonnent. Si vous n'y touchez pas, je dois continuer à rôder dans ces lieux.

Eric fait un mouvement. Il hésite, puis tend résolu­ment la main vers le manche du couteau.

 








Дата добавления: 2015-09-11; просмотров: 391;


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