Chapitre 1
— Dites, Monsieur Ploumenec, un corsaire est-ce que c'est un héros ou un bandit?
Joël Ploumenec ne répond pas immédiatement. Assis sur une caisse, il regarde longtemps les bateaux de pêche dans le port de Roscoff en Bretagne.Vieux pêcheur pensionné, il reste toujours un peu l'homme de la mer. Le port, les bateaux, la mer,voilà sa vie.
Maintenant qu'il ne sent plus les planches bouger sous ses pieds, la brise salée lui frapper le visage, il vient s'asseoir tous les jours au bord de l'eau, rêver du temps passé.
Il fait presque partie du décor. Il connaît toutes les vieilles légendes de la région et aime raconter. C'est pourquoi les enfants l'aiment bien.
— C'est une question difficile, mon petit. Le petit à qui il s'adresse s'appelle Eric. Chaque année il vient passer ses vacances en Bretagne avec ses parents et sa sœur Lénick. Ils connaissent bien le vieux pêcheur. Ils s'installent souvent en face de lui quand il raconte les histoires mystérieuses du pays.
— Comment?
— Un corsaire peut être un bandit et en même temps un héros.
En théorie, c'est un héros pour les Français et un bandit pour les autres. Certains corsaires ont même été si cruels et inhumains que même dans la mort ils n'ont pas trouvé le repos éternel.
— Vous voulez dire des fantômes? demande Lénick.
— Oui, des fantômes.
— Vous croyez qu'ils existent vraiment?
— J'en suis sûr et certain!
― Vous en avez vu?
— Non, je n'en ai pas vu, mais il y en a un que j'ai entendu souvent.
— Racontez-nous cette histoire, Monsieur Ploumenec.
Mais le vieil homme se tait. Il sort de sa poche une petite pipe de marin et du tabac. Puis il commence à bourrer sa pipe, l'allume, très lentement et attentivement.
— Vous ne voulez vraiment pas raconter l'histoire du fantôme? recommence Eric.
— Non!
— On ne peut vraiment pas savoir?
— Oui et non.
— Alors racontez!
— C'est une affaire trop sérieuse. Il ne faut pas en parler à la légère.
— Mais on est très sérieux!
— Je vois à vos visages que vous n'allez pas me croire.
— Est-ce que cette histoire est vraiment si différente des autres?
— Oui.
― Alors c'est un secret?
— C'est le secret des pêcheurs de Roscoff.
— Il faut donc être pêcheur pour connaître ce secret?
— Tous les pêcheurs et tous les marins de Roscoff le connaissent mais ils le gardent pour eux. Ils savent que les gens vont se moquer d'eux s'ils en parlent.
— On ne va pas se moquer de vous, Monsieur Ploumenec.
― Vous allez me croire?
— Oui, oui, disent Eric et Lénick.
— Alors, écoutez bien!
Monsieur Ploumenec prend un air mystérieux. Il regarde autour de lui pour vérifier s'il n'y a personne dans les environs. Puis il dit tout bas:
— Tous les pêcheurs savent qu'un fantôme vit dans 20 la Grotte des Soupirs. Parfois quand le matin très tôt ils rentrent de la pêche, ils entendent quelqu'un qui les appelle. C'est une voix très triste qui se lamente et qui répète toujours: «Ayez pitié, ayez pitié, ayez pitié . . ..
Monsieur Ploumenec regarde les enfants. Ceux-ci sont fort impressionnés par le ton lugubre du vieux pêcheur. Jamais il n'a paru si sérieux. Finalement Eric dit prudemment.
― Cela ne peut pas être le vent qui fait ce bruit-là? Monsieur Ploumenec le regarde, déçu.
— Tu vois, mon fils, tu n'es pas différent des autres.Tu ne me crois pas. C'est pourquoi les pêcheurs n'en parlent jamais. On ne les croit pas. Mais je veux bien répondre à ta question. On entend aussi la voix quand il n'y a pas de vent, quand il n'y a pas de tempête et quand il ne fait pas noir. Le fantôme existe vraiment.
Sans transition, le vieil homme continue.
— Il est temps que je rentre, le dîner doit être prêt.
Il se lève et s'en va lentement en direction du village.II marche sans se retourner
une seule fois.
Eric et Lénick ont l'impression d'avoir volé quelque chose à leur vieil ami. Ils se sentent mal à l'aise. La vie dans le port ne les intéresse plus et à leur tour ils reprennent le chemin de la maison.
Дата добавления: 2015-09-11; просмотров: 388;